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Exposer le(s) monde(s) arabe(s)

TIZGUI Yasmeen
2018
ESAD Valenciennes
Valenciennes

Résumé
L’intention de ce mémoire s’est dessinée lorsque j’ai intégré l’Ecole Supérieure d’Art et de Design (ESAD) de Valenciennes. Avant cela, je vivais au Maroc, mon pays d’origine, mais dans un environnement « occidentalisé », ayant été scolarisée dans des établissements français dès les classes de maternelle. Dès mon arrivée en France, j’ai souvent été confrontée aux représentations sur le Maroc. Par exemple, l’étonnement que suscite l’absence d’accent quand je parle en français ; le fait que je ne comprenne pas les conversations entre deux Tunisiennes lorsqu’elles parlent en «arabe» ; ou que je me dise d’origine berbère bien que venant d’une communauté arabe.

Par la suite, j’ai été confrontée aux représentations sur le monde arabe qui se retrouvent exprimées sous deux catégories : un imaginaire attractif, allant de l’exotisme au ‘luxe abordable’ et des stéréotypes répulsifs, allant de la figure du terroriste à celle du ‘banlieusard’.

La définition du terme « monde arabe » est elle-même catégorisée sous différents critères, variant selon les définitions des dictionnaires et des définitions populaires.

On retrouve alors le critère linguistique, réunissant des États dont l’arabe porte le statut de langue officielle ou co-officielle ; le critère géographique, on parle souvent ici de Maghreb (partie occidentale) et de Machrek (partie orientale) ; le critère politique, considérant les pays faisant partie de la Ligue Arabe (qui compte aujourd’hui vingt-deux États membres) ; ou encore, le critère religieux, définissant les pays arabes comme ceux où l’on pratique la religion musulmane. Ces critères amènent parfois à des confusions ou des amalgames, effaçant la diversité de ces pays et leurs caractéristiques propres. Le critère linguistique, par exemple, met de côté les minorités ne parlant pas l’arabe comme les kurdes, les Arméniens ou encore les berbères. Quant au critère géographique, il oublie parfois d’inclure des pays comme le Djibouti, la Somalie ou les Comores. Le critère politique est, quant à lui, une donnée qui dépend des relations au sein de la Ligue Arabe. Le plus maladroit, et malheureusement le plus répandu dans la société, est le critère religieux. Car, bien que la majorité des populations arabes soit de confession musulmane, il existe aussi des minorités juives ou chrétiennes dans certains de ces pays. D’autant plus que cette région du monde a été le berceau des trois religions monothéistes (judaïsme, christianisme et islam).

Il devient alors diffcile de poser une définition appropriée, et le terme de « monde arabe » semble lui-même dévier vers une généralisation. Mettre ce terme au pluriel tendrait déjà à une mise en avant de la diversité que je qualifierais alors sous le terme: « le(s) monde(s) arabe(s) ». Ces critères de définition du « monde arabe » ont des répercussions plus importantes qu’une simple confusion. Le critère religieux, par exemple, amène soit à éviter de parler des pays arabes, soit trop en parler en réduisant leur diversité à ce seul critère, dans une intention stigmatisante.

Par ce phénomène, on fait barrage à l’apprentissage de ces cultures et à la compréhension de leurs diversités. Cela devient difficile de contrer les représentations faussées, princi- palement diffusées par les médias qui ont un impact cognitif considérable dans le quotidien des Français. Je me suis alors demandée quels seraient les outils et les lieux par lesquels on pourrait offrir des représentations plus justes et, ainsi, réactiver cette volonté d’aller vers l’« Autre » et de faire face à l’altérité.

Méthodologie
J’ai porté mon intérêt, dans un premier temps, sur tous types de lieux d’éducation et de lieux culturels. Puis, j’ai fini par me recentrer sur les musées. Ces lieux d’exposition ont une histoire passionnante, engendrée par l’action d’exposer les autres civilisations en Occident et, en France, plus particulièrement. Du fait que ces musées aient vu le jour durant l’époque coloniale, l’histoire qu’ils racontaient était devenue le miroir d’une relation de domination. Cette histoire permet de comprendre la construction progressive des préjugés et des amalgames qui étaient alimentés par les expositions que proposaient ces musées. Cette chronologie permet donc de comprendre la place, la forme et les enjeux des musées d’aujourd’hui, d’une part, les relations entre la France et le(s) monde(s) arabe(s), d’autre part.

Cette évolution est selon moi riche, diverse mais toutefois complexe. J’ai tout de même tenté de l’aborder en m’appuyant sur des références théoriques. J’ai alors alimenté, petit à petit, ces références de réflexions et de visions personnelles. J’ai bien conscience que je ne suis ni anthropologue, ni théoricienne, ni muséographe. Ces réflexions, je les ai nourries de mes propres expériences et de mes recherches.

D’abord, en tant que designer, pratiquant un design, non pas ciblé sur l’objet ou l’esthétique mais, ciblé sur les enjeux de la société et ses habitants. Ici, je m’appuie sur des références théoriques et plastiques, ainsi que des études de terrain pour alimenter mes propos. Puis, en tant qu’originaire d’un pays arabe. Ce qui me permet d’avoir un attachement et une conviction personnels vis à vis de ces sujets. Par cette identité professionnelle et personnelle, je tente alors de comprendre et partager en quoi les musées exposant les cultures arabes, associés au design, peuvent offrir une nouvelle plateforme contrant les préjugés et incitant les échanges socio-culturels.

Ainsi, je construis ma pensée en trois temps. Une première partie relative à l’histoire des représentations du monde arabe en France, me permet d’étudier l’évolution de ces musées depuis leurs origines jusqu’à aujourd’hui. Dans une seconde partie, je peux alors analyser les enjeux actuels des musées représentant l’altérité, et de façon plus précise, ceux exposant les cultures arabes. Enfin, je présenterai en quoi ma pratique de designer et en quoi le design, en général, peuvent s’apparenter aux enjeux contemporains des lieux dédiés aux autres cultures et com- ment ils peuvent s’inclure dans une démarche d’évolution dans ces musées.